Catalogne : Gérone, génie de la culture et des arts

Catalogne : Gérone, génie de la culture et des arts

Située au confluent de 4 rivières, le Ter, le Güell, le Galligants et l’Onyar, Gérone s’offrait à la Voie Augusta qui rejoignait l’Aquitaine, voie millénaire. La préhistoire, et les peuples venus de l’Est, grecs et romains, ont jalonné ce terroir. Les phéniciens n’ignoraient rien de la côte. Gérone fait partie de ce triangle d’histoire qui va de Tarragone à la frontière. Municipium au temps de Rome, l’antique Gerunda fut le siège d’un évêché au début du christianisme. Occupée par les maures en 777, elle fut enlevée en 785 par Louis Le Pieux, fils de Charlemagne, et assiégée par Philippe le Hardi, roi de France.La Catalogne, vieux pays, génie de la culture et des arts. Les noms de Picasso, Miro, Dali, Tapies, Gaudi, Montaner, Cadafalch, Jujol, Maso se murmurent depuis les collines boisées au pied des neiges éblouissantes jusqu’à la mer bleue.

Quatre ponts sur l’Onyar permettent de contempler une enfilade de quais extraordinaires. Des ponts de Ferro et de Preda construits par Eiffel, qui sont de splendides belvédères, la célèbre vue sur la ville ancienne récemment restaurée est unique. Gérone, ce sont des maisons qui viennent frôler la rivière, des façades sévères où les fenêtres serrées les unes contre les autres ouvrent leurs grands yeux étonnés, un air de mystère, nul jardin, nulle fleur, pour éclairer cette cité où les toits montent vers l’imposante cathédrale.

Il n’existe pas de quartier médiéval en Europe qui atteigne la qualité d’architecture romane et l’émouvante beauté de ces ruelles, porches, passages voûtés, contreforts, cours intérieures, escaliers, balcons et frontons de noblesse, un labyrinthe de pierre brute et de couleur d’ambre bâti par les marchands et les juifs et surgi intact du XIIe siècle. Sous les arcades et les immenses platanes de la rambla Llibertat, les terrasses de café, les boutiques et les restaurants s’animent.

C’est sur la rambla que se tient le marché du samedi. On est dans l’ancienne cité artisanale avec ses noms de terroir, plaça del Vi, placa de l’Oli, carrer des Mercaders, el Barri Vell.  La rue de l’Argenteria et celle de la Forca mènent tout droit à la cathédrale, rues commerçantes qui traversent le fameux quartier du Call.

Gérone, berceau de la culture

La ville de Gérone, berceau de la culture, a connu une période marquante de son histoire pendant les années de splendeur de la communauté juive du IXe au XVe siècle. C’est probablement à la destruction du temple de Jérusalem en l’an 70 provoquant une immense diaspora qu’il faut attribuer l’arrivée des premiers juifs sur les côtes catalanes.

Dès le IXe siècle, leur présence est signalée à Gérone alors qu’aucun document n’en fait état avant le XIIe siècle. Doucerella serait d’après un texte de 963 la première femme juive dont on connaît le nom. Les juifs ont donc habité la ville pendant 600 ans jusqu’au XIVe siècle, participant aux affaires, aux finances et jouissant parfois d’un statut spécial en tant que conseillers du Roi.

C’est à cette époque que le mouvement cabalistique se développe en Languedoc et en Provence sous l’impulsion d’Isaac de Narbonne. Ces nouvelles idées parviennent en Catalogne par l’intermédiaire de disciples tels que Esdres et Azriel. Le grand maître de Gérone, Nahmanides, plus connu sous le nom de Bonastruc ça Porta s’y voua entièrement. Son enseignement de la kabbale, renommé, est une référence pour la communauté juive dans le monde d’alors. Dans le Call, lieu-dit dérivé de callis, la rue, on trouvait 3 synagogues, un hôpital, un orphelinat, des maisons de bienfaisance. La Voie Augusta le traversait du nord au sud. En 1448, le quartier, devient un ghetto. La forme labyrinthique des rues et la solidité de la pierre sauveront les murs parvenus jusqu’à nous.

Le centre Bonastruc ça Porta comprend le Musée d’Histoire des Juifs de Catalogne abritant la collection lapidaire la plus importante du pays et connue dans le monde, et l’institut d’Etudes Nahmanides qui mène un programme de recherche sur la culture juive. Dans certaines maisons du Call, on peut voir la Mezouza. Choisissez le circuit les 7 portes de la juiverie qui vous ouvrira des portes réelles et imaginaires pour une visite très complète du quartier.

La cathédrale de Gérone et ses trésors

Un escalier monumental de 90 marches mène à la cathédrale gothique. Fondée par les wisigoths, devenue musulmane en 717, rendue au culte catholique par Charlemagne, construite au XIVe siècle par Henri de Narbone, elle trouve son achèvement au XVIIe siècle. Sa nef d’une exceptionnelle largeur et soutenue par des contreforts énormes s’avère la plus vaste d’Europe. Dans les absides voisinent des tableaux, retables, tombes comme celle de l’évêque Bernard de Pau ou celle de Raymond Beranger, comte de Barcelone.

Le sanctuaire lui-même est magnifié par un retable à relief en argent repoussé de toute beauté tandis que le cloître offre ses doubles colonnettes et ses remarquables chapiteaux. Mais le trésor est ailleurs dans les salles qui lui sont consacrées. De superbes objets d’église y sont exposés. Il faut voir le coffret arabe de Hicham II datant de la grande époque du califat de Cordoue, le Beatus, une copie de l’an 975 faite par le moine Emetrius et la nonette Enda, du Commentaire de l’Apocalypse du moine Beatus rédigé en 786 et enrichi d’enluminures.

La tenture brodée dite de la Création de la fin du XIe siècle qui présente Adam et Eve et des personnages vêtus à la carolingienne, entourés par les thèmes des saisons, des mois et des vents.

Du parvis, on aperçoit San Feliu qui, bâtie sur une nécropole, abrite de nombreux sarcophages (rapt de Proserpine et chasse au lion), le tableau de Saint Vincent peint par Porta, un artiste du XVIe siècle et un Christ gisant du maître Aloi, chef d’œuvre du gothique catalan. Une chapelle est consacrée à Saint Narcisse le patron de Gérone, appelé le saint aux mouches, car ce sont elles qui, d’après la tradition, surgies de la sépulture, ont refoulé les troupes françaises en 1285. Sur la place, une colonne portant la réplique d’une lionne du XIIe siècle est à l’origine de la célèbre phrase, Tu ne pourras devenir un citoyen de Gérone qui si tu as laissé un baiser sur la lionne. Un baiser qui est aujourd’hui une garantie de retour.

On peut rejoindre alors par le parvis ou San Feliu la porte du Paseo Archeologiqua où les murailles médiévales se joignent aux vestiges romains. Entre deux escaliers, chaque refuge ou cour, le moindre recoin est investi par un jardin. On va ainsi de dalles romaines en moellons des chevaliers dans le parfum des roses trémières, volubilis, fougères ou bambous, qui dans leurs clairières charmantes offrent des bancs pour votre repos. C’est le charme des frondaisons, le calme d’uns histoire apaisée et d’un passé qui devient lointain. La vue est magnifique sur la ville. L’église Sant Pere de Galligants, devenu Musée Archéologique, recèle jalousement la Virgen de Esperanza ou Vierge enceinte, Vierge rare, mais dont l’existence dans une région mégalithique symbolise la fertilité des pierres préhistoriques. Elle abrite aussi une Vierge à l’enfant en albâtre polychrome du XIVe siècle et un calvaire roman.

Collection d’antiquités

Plus loin, la chapelle Sant Nicolau et les Bains arabes avec leur lanterne, qui apportent la douceur d’un art de vivre dans la rudesse médiévale Toujours dans la vieille ville se tient l’hôtel gothique de la Pia Almoina, ainsi que l’ancien couvent des dominicains et l’université d’antan ou Casa de les Aligues qui protège dans sa cour un mur cyclopéen du Ve siècle av.J-C. Il faut se souvenir que Tortossa, dans l’antique Catalogne, avait été fondée par les phéniciens, héritiers des hommes qui ont bâti les mégalithes. Le Palais Episcopal accueille le Musée d’Art où l’espace important consacré au médiéval se compose de fresques et de retables. L’émouvante table du verrier du XIVe siècle est celle qui a permis de façonner les vitraux de la cathédrale. On y voit aussi des œuvres modernes des peintres Alsina, Vayreda et Rusinol.

Dans un hôtel du XVIIIe siècle, le Musée Diocésain propose des collections d’antiquités. A ne pas manquer le retable de Canapost, œuvre d’un français inspiré de Jean Fouquet, la salle Borrassa, un fragment de l’Apocalypse de Beatus et les fresques de l’église de Pédrina peintes par le maître d’Osormort,  sans doute originaire de Poitiers parce qu’on y découvre des affinités avec les peintures de l’église de Saint-Savin-sur-Gartempe. Le Musée d’Histoire de la ville raconte aussi les épisodes guerriers qui s’y sont déroulés. On peut voir par exemple un tarla, un pantin qui d’après la légende a distrait les habitants de la carrer de l’Argenteria lors d’une quarantaine imposée par une épidémie. Dans la rue d’Els Ciutadans s’élève le monument roman de la Fontana d’Or.

Dans la Gérone Art Nouveau, les architectes et artistes talentueux ont continué la tradition de leurs ancêtres dans la Farinera Teixidor, une ancienne minoterie de 1910, siège actuel du journal El Punt, et la casa de la Punxa, la maison de la flèche de 1918, La casa Ensesa, la casa Gispert Saüch, la casa Battle avec ses 8 chouettes, la casa Colomer et la casa Maso, sont des bâtiments édifiés par l’architecte de la ville le plus emblématique du mouvement modernisme Rafael Maso (1888-1935).

Autour, des parcs romantiques, le parc central, le parc Migdia, le parc Vista Alègre, plus loin, le parc Devesa. Partout des platanes, des tulipiers, des pins, le quartier de Mercadal sur la rive gauche du fleuve Onyar a été remodelé au XIXe siècle. La rambla de la Llibertad a son prolongement de l’autre côté de la rivière, dans la carrer Santa Clara et le quartier de l’Eixample. Place de l’Indépendance, à la Taverna, le vin coule à flot entre deux assiettes de jambon, le fameux jamon catalan.

Au coeur du 7ème Art

C’est au coeur de ce même quartier, dans la maison des Aigues, que s’est installé le Musée du Cinéma, un des plus remarquables du monde, offrant aux regards émerveillés la collection Maillol. Dès son plus jeune âge, Tomas Maillol est fasciné par les projections ambulantes qui se montraient de villages en villages. Il réalisa 31 courts-métrages qui lui valurent différents prix nationaux et internationaux. C’est à la fin des années 60 que le jeune passionné commence sa collection d’appareils cinématographiques qui allait très rapidement se transformer en archéologie du cinéma. La collection se compose de 25000 éléments.

A l’exception de 7500 objets et appareils, elle contient 15000 documents, gravures uniques, photographies, dessins, peintures, affiches, 800 films de tous les types et une bibliothèque de plus de 700 livres et revues. Cette collection d’une richesse incroyable englobe toute l’histoire depuis le XVIIe siècle et même avant, de cette recherche obsédante de l’image qui bouge devenue par la suite un art et une des plus grandes industries, depuis les figures indiennes, sphères de métal chinoises, silhouettes noires d’Europe, fantasmagories, taumatrop, théâtre d’ombres, théâtre optique, caisse optique, lanterne magique, microscope solaire, poliorama panoptique, daguerréotype stéréoscope, zootrope, praxinoscope, toupie fantoche, choreutoscope, chronophotographie, kinétoscope, kaléidoscope, mutoscope, tous ces balbutiements de chercheurs géniaux qui ont abouti au fameux cinématographe. A voir absolument.

Sur les pas de Dali

On n’imagine pas la Catalogne sans la Méditerranée. La région cernée au nord par la montagne voit dans la mer son ouverture naturelle, car si la région de Gérone demeure foncièrement traditionnelle, attachée à sa culture et ouverte au monde, elle reste fidèle à la Costa Brava qui elle aussi, lui demeure fidèle. Gérone est la porte d’entrée de la Côte sauvage qui doit son nom à son aspect tourmenté. De Tamariu à Calella en passant par Llafranc, ce sont les mêmes plages dorées dans leurs courbes élégantes, les villages paisibles de pêcheurs, les falaises et ces rochers d’ocre dans leurs jardins de cactus et de lauriers-roses, les forêts de pins, les barques bleues et ces villas d’antan aux rires d’enfants.

Dali, à la fin de sa vie, s’établit sur la Costa Brava. Sa trilogie comprend le Théâtre-Musée de Figueres, la Maison-Musée de Cadaquès et le château de Pubol. Il offre cette demeure à Gala pour tenir sa promesse de faire d’elle la reine de ce manoir situé sur la commune de La Pera, près de la Bisbal d’Emporda où Dali ne pouvait venir qu’avec la permission de la Châtelaine. C’était dans l’esprit de Dali une façon élégante de l’éloigner de lui afin qu’elle vive la solitude qu’elle souhaitait. C’était aussi aviver le désir. Ce château du Xe siècle a l’air d’une grande maison aux murs épais et aux fenêtres étroites, adossé à l’église qui abritait le beau retable de St Pierre aujourd’hui à Gérone. A ses pieds, le village aux tuiles roses. La terrasse du château donne sur la campagne. Une allée de platanes centenaires frissonne le long des murailles, le jardin s’ouvre sur des massifs tapissés de lierre.

Des éléphants fontaines surgissent des bouquets de lauriers et de cyprès et la piscine s’entoure de masques de Beethoven. En créant pour elle un décor, le château est devenu le théâtre de Dali. La somptueuse Cadillac de Salvador voisine avec la Datsun orange de Gala. Les robes du soir exposées sous les toits ont l’air de fantômes égarés.  Slave, Gala s’entourait de slaves, elle vivait dans la musique de ses amis, ses souvenirs, et les roses du jardin lui rappelaient celles de son enfance en Crimée. Ce château qui ne parle que de Gala a fait fuir Gala. Son âme n’est pas à Pubol, mais les dessins et les tableaux de Dali sont admirables.

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